Libéralisme, forces de Porter et consommateurs (2)

[temps de lecture : 2mn _ les schémas peuvent être agrandis]

Dans la partie 1, nous avions déduit que les oligopoles réduisaient les marges de manœuvre du consommateur, et notamment son pouvoir de négociation.
Ce qui est exposé ici, est vrai pour le consommateur, face aux opérateurs Internet. Mais cela est transposable de la même manière en B to B, quand une entreprise TPE ou PME est face à l’un des incontournables opérateurs Internet.

Cette seconde partie montre comment deux entreprises, confrontées également aux forces de Porter, rendent la situation ingérable pour le consommateur qui devient définitivement le perdant.

Le décor était posé lorsque le schéma des responsabilités avait été montré en fin de première partie de cet article.

schéma_opérateurs_consommateursFree repose sur le réseau filaire de France Télécom (Orange) pour y faire passer l’accès Internet. L’abonné ne connait que son fournisseur d’accès : ici, l’opérateur est Free.

Free est en relation avec France Télécom (Orange) pour obtenir de cette entreprise une ligne en cuivre fonctionnelle afin de permettre la vente du service ADSL attendu par l’abonné, et auquel aspirerait tout employé de France Télécom (Orange) ou de Free : une liaison stable au débit supérieur à 10Mb/s pour bénéficier des services attendus (TV, voix sur IP pour le téléphone, VOD, …).

Quand la prestation est loin des attentes du consommateur.

histo_connexionL’exemple suivant montre les désagréments subis par un abonné. Sa liaison Internet est interrompue en permanence, les débits sont variables.

Les effets sont tout de suite imaginables.

  • On fait sa déclaration d’impôt en ligne : le processus est à reprendre plusieurs fois,
  • On enregistre un film sur un disque dur relié à la box Internet : le téléchargement sur le disque est interrompu fréquemment et le film est segmenté,
  • On regarde un programme télévisé : l’image est pixelisée, se fige, puis le programme reprend après une perte de plusieurs minutes,
  • On écoute de la musique en ligne en utilisant son abonnement payé à un prestataire : la diffusion s’arrête, reprend après plusieurs minutes, quand il ne faut pas recharger la page, rendant le coût de l’abonnement musical hors de prix !

Le fournisseur d’accès Internet appelé à l’aide.

paiement_services_attendusLorsque l’abonné (consommateur) subit les désagréments mentionnés, il s’adresse à son fournisseur d’accès à qui il paye le service d’accès à Internet. Dans notre exemple, l’abonné s’adresse à Free.

Ce dernier se met en relation avec le responsable de l’infrastructure (ici Orange – France Télécom) à qui il paye aussi un accès à cette infrastructure, son entretien et son maintien à l’état opérationnel.

Les forces de Porter entrent en jeu, et mettent en interaction, le consommateur, son opérateur Internet (Free) et le fournisseur de l’infrastructure (Orange – France Télécom).

Acte 1 : le ticket incident.

L’abonné déclenche un ticket incident auprès de son opérateur Internet. Free délègue un salarié afin qu’il constate le problème. C’est fait : la ligne n’est pas opérationnelle et elle ne permet pas le service attendu par l’abonné.

Acte 2 : le diag par Orange-France Télécom = RAS.

Free demande l’intervention d’Orange – France Télécom. Le personnel de cette dernière effectue quelques contrôles, et demande à vérifier le point d’arrivée chez l’abonné de Free. Quelques mesures, et la décision est « la ligne est fonctionnelle. Elle est LBE ». On ne sait trop ce que veut dire ce jargon…

Détail technique : les lignes cuivres ne sont pas d’un seul tenant pour aller du central téléphonique à l’abonné. Elles passent par des points de connexion qui vieillissent, s’oxydent, deviennent résistifs ou capacitifs. Le salarié d’Orange – France Télécom ne gratte pas les connexions, ne monte pas dans sa nacelle pour aller remettre en état les connexions. Quitte à être sur place, il pourrait y avoir un intérêt, avant d’être convié à nouveau à une autre expertise du fait de la non-résolution du problème.

Acte 3 : status quo, joué d’avance.

La rencontre contradictoire entre l’opérateur Internet et le fournisseur de la ligne cuivre a lieu chez l’abonné. Status Quo.

Acte 4 : « refiler » sa responsabilité.

poids_relatif_et_modèle_de_PorterIci ce matérialise les forces de Porter dans leur ensemble.

Le poids relatif des différents acteurs amène à une situation sans solution : le modèle de Porter montre comment l’abonné n’a aucun poids sur son prestataire Internet et que ce dernier n’a que peut d’influence ou de volonté de se confronter à son propre fournisseur d’infrastructure.

Le message de l’opérateur Internet qui clôt le ticket incident est à ce titre éloquent (voir ci-dessous). Le ton est poli, mais il masque le fait que l’abonné ne connait que l’opérateur (ici Free). Free rejette la responsabilité sur autrui (Orange-France Télécom), ce qui est pratique. Free montre ici son défaut de maîtrise de son propre fournisseur.

La fin du message est courtoise, mais ne résout pas le problème. L’abonné devrait-il s’en satisfaire alors qu’il paye tous les mois son opérateur ?

message_free_cloture_ticket_complet

Déductions

Résumons ce que nous pouvons voir de cette situation, avec 2 paires d’acteurs : (l’abonné et Free) et (Free et Orange-France Télécom).

Déduction n°1 : absence de pouvoir.

Le consommateur n’a aucun pouvoir pour pousser son opérateur Internet à aller jusqu’au bout de la résolution du problème, et mettre le service en adéquation avec les attentes. Cela n’empêche pas l’opérateur de se faire verser mensuellement le montant de l’abonnement, même avec un fonctionnement dégradé.

Déduction n°2 : suspicion de manoeuvre à dessein.

Orange-France Télécom, responsable de l’infrastructure mais également opérateur Internet, joue sans doute « sa partie » pour faire en sorte que les abonnés quittent un opérateur concurrent pour éventuellement arriver chez eux dans l’espoir que les choses finissent par trouver une solution… à 20% plus cher !
Mais peut-on avoir la certitude que l’arrivée de l’abonné chez Orange-France Télécom augmente la qualité de service même avec un coût d’abonnement plus cher, en sachant que le pouvoir de négociation du consommateur face à Orange-France Télécom est lilliputien, comme il l’était avec Free ?

Déduction n°3 : une dissymétrie en défaveur du consommateur.

Les forces de Porter montrent que le système est figé avec l’oligopole des opérateurs Internet d’un côté, et avec le monopole de l’infrastructure d’autre part. Le système est déséquilibré d’un bout à l’autre de la chaine économique, et ce déséquilibre est maintenu en l’état par les décideurs politiques, ce qui visiblement ne déplait pas trop aux consommateurs : bien peu insiste auprès des décideurs et du législateur (les parlementaires) pour que l’on intervienne afin de briser cette situation. Mais il s’agit d’influence et cela pourra faire l’objet d’un autre article.


Conclusion

L’absence de concurrence totale et le monopole de fait rendent dissymétriques la relation commerciale. Incontournable, et avec un rapport de force très favorable pour lui, le pouvoir de négociation du fournisseur empêche tout contournement ou toute pression sur le fournisseur par son client pour obtenir le service attendu. Ici, dans le cas d’une relation B to B.

La diminution de la concurrence et l’arrivée d’oligopoles sont contraire au capitalisme, qui veut que la concurrence soit « pure et parfaite ». Le libéralisme avec l’arrivée des 3D(1) et des concentrations qui sont dans son sillage entrainent une courte période favorable pour le consommateur par l’amorce d’une baisse de prix. Une fois le marché épuré, le consommateur n’a plus beaucoup de solutions pour contourner les opérateurs restés présents. Il peut passer de l’un à l’autre, entrainant un turn-over avec lequel les opérateurs vivent très bien en B to C, mais le consommateur est désormais sans réel pouvoir sur chacun d’entre eux.

Dans tous les cas, dès lors que le consommateur subit un problème fonctionnel de sa liaison Internet, les forces de Porter sont totalement contre lui : son pouvoir de négociation a totalement disparu et les chances de voir résolu son problème sont très fortement réduites.

 

Si cet article vous a plu, qu’il vous a apporté un éclairage nouveau, un « like », un commentaire ou un partage sont les bienvenus. Merci !

 

(1) les « 3D » : Dérégulation, désintermédiation, décloisonnement. Poussés par la mondialisation et l’univers financier, il se traduit aussi dans les faits dans la diminution de l’intervention des états pour réguler le marché, notamment en matière de concurrence et de maîtrise significative du pouvoir de négociation du consommateur envers les agents économiques incontournables.

Illustration par photo libre de droit sur www.flickr.com
« Ethernet cable » par Reynermedia

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