Quand une entreprise basée sur la vente de services par Internet se lance dans une opération de croissance externe, elle cherche, comme toute entreprise, à rentabiliser au plus vite son investissement.
Ce soucis de mettre en oeuvre son actif productif pour faire rentrer du chiffre d’affaire n’amène pas forcément à renier ou à changer complètement de modèle économique : il serait plutôt question ici de l’adapter.
Les achats du moment.

Remontons le temps…
Il y a quelques mois, la SNCF se débarrassait de ses lignes d’autocars de voyages intercités, dits aussi « car Macron » (1).
Dans un article du 12 novembre 2018, le journal Le Figaro relatait le fait que Ouibus changeait de propriétaire.
Cette société appartenant à SNCF cumule les pertes depuis sa création en 2012. Pourtant, la SNCF réussit à vendre Ouibus (à l’origine IDBus) à Blablacar. Comme Ouibus, l’entreprise Blablacar ne gagne pas d’argent non plus jusqu’en 2017. La direction de cette entreprise annonçait le passage à un résultat positif en 2018 : une hausse des tarifs de transaction y est peut-être pour quelque chose. Les personnes publiant les voyages ont vu d’ailleurs à ce titre une première évolution : lors de la rédaction d’une annonce, ils ne voient que le montant qui leur sera versé par Blablacar, mais plus le prix du trajet payé par les covoitureurs….
La société de covoiturage, créée en 2006, effectue une levée de fonds pour acquérir la filiale de la SNCF. Cette dernière en profite pour rentrer au capital de Blablacar. Un montage financier qui permet sans doute, par le biais de l’entrée au capital, d’apporter un peu d’argent servant à l’achat, et peut-être de convaincre Blablacar de faire l’acquisition. Cela permet également à la SNCF de se dégager de ce marché qui n’est pas aussi lucratif qu’on nous le montrait.
Blablacar possède Ouibus : so what ?
Maintenant que Blablacar se trouve avec de nouveaux actifs, il faut les faire fonctionner et les faire entrer dans la phase de production : en d’autres termes, remplir les autocars intercités. Et pour cela, il faut essayer de faire mieux que ce qu’a fait la SNCF qui n’a pas réussi à gagner de l’argent avec ce service qui devait être « révolutionnaire » sur le marché français.
Car, la concurrence a été rude. Le ticket d’entrée est élevé pour s’équiper en autocars, faire la publicité, se faire connaître, fidéliser une clientèle… Les grands groupes se sont lancés, ont cassé les prix en rognant sur la marge. Ceux qui avaient les reins les plus solides sont restés : le marché étant épuré, les prix ont pu remonté. De là à redevenir bénéficiaire, il va visiblement falloir du temps.
Blablacar ne peut se permettre de ne pas gagner d’argent avec les autocars sur une trop longue période : alors, il faut faire monter, coûte que coûte, des voyageurs dans les autocars. Et quoi de mieux que de le faire avec leur plateforme Internet que l’on modifie pour l’occasion !!!
1- Organiser la « charité ».
Première chose à faire : se rendre plus visible que le covoiturage classique.
Ainsi, lors d’une recherche de trajet, l’internaute reçoit la liste des résultats sur son écran. Et cette liste commence, lorsqu’il y en a, par les trajets disponibles en autocars « Blablabus ».
Par exemple, pour la recherche d’un trajet Angers-Nantes à partir de 9h pour le 16 Août, le résultat est le suivant, commençant par Blablabus.
2- Assoir cette nouvelle disposition.
Cette nouvelle présentation doit être incontestable et ne pas être l’objet de réclamations de la part des gens qui publient des trajets en covoiturage.
Un coup d’œil aux conditions générales permet d’avoir les explications à cette nouvelle organisation des résultats.
Les autocaristes autorisés ont le droit de publier leur trajet sur le site de Blablacar, et cela n’influence pas le référencement, est-il précisé.
La tournure de phrase est faite pour dire que ce n’est pas le capital ou la rémunération de Blablacar par les annonceurs qui influencerait le référencement.
Reste à finir d’expliquer la nouvelle disposition des résultats.
C’est choses faite dans la suite du texte sur le référencement et le classement des trajets. Il y est clairement décrit que le bloc « recommandations » des trajets autocaristes se trouveront en haut de liste de résultats correspondant à la recherche de l’internaute. En l’occurrence, Blablabus se trouvent dans les recommandations. n’est-ce pas, entre autres, ceux qui viennent d’être nouvellement acquis par Blablacar ?
3- Rendre plus difficile les comparaisons.
Il y a quelques mois, il était encore possible de filtrer les résultats par heure de départ ou par prix. Dans le cas présent où le trajet en autocar est indiqué en premier, on souhaiterait pouvoir classer par ordre de prix croissant pour savoir où se situe l’offre de l’autocariste.
Pour rendre plus pénible cet exercice, il faut freiner l’internaute, en augmentant la contrainte. La fonction de tri semble avoir disparu.
Il y a maintenant une fonction « filtre ». Mais ses possibilités sont particulièrement limitées et n’offrent aucun avantage décisif.
La comparaison de la proposition de l’autocariste (dont les propositions des autocars nouvellement achetés par Blablacar) devient plus compliquée : il faut être acharné pour fouiller la liste de résultats pour faire soit même la comparaison.
Pour résumer, l’acquisition de Ouibus par Blablacar engage cette société dans l’obligation de rentabiliser son investissement au plus tôt.
La méthode choisie est l’association de cette actif à la plateforme de covoiturage. Mais pour se démarquer des trajets possibles en covoiturage en véhicules légers, Blablacar s’autorise de changer la présentation des résultats de recherche sur les trajets (CGU que tout le monde accepte…).
Il faut légitimer cette nouvelle forme de présentation et l’accompagner de fonctionnalités étriquées qui limitent les comparaisons entre le trajet proposé en autocar avec les trajets en véhicules légers. En plus de cette limitation des fonctionnalités, le site rendra également pénible l’exercice de comparaison que serait tenté de faire l’internaute, par lui-même.
Le but est d’éviter que l’internaute ne cherche trop, et soit tenté rapidement de cliquer sur le trajet proposé par l’autocariste, notamment Blablacar, nouvel acquéreur de Ouibus.
Le montant de l’achat de l’internaute restera ainsi « en famille » : le site Blablacar (covoiturage) et ses autocars Ouibus rachetés à SNCF.
Ainsi Blablacar accroit les chances de faire monter des passagers dans ses nouveaux autocars et avoir des rentrées d’argent pour rentabiliser au plus vite cette nouvelle acquisition.
(1) article du journal Le Figaro en cliquant ici.
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